Entrepôts internationaux : quand la guerre menace la chaîne mondiale
Entre bombardements israéliens sur l’Iran et menaces de fermeture du détroit d’Ormuz, les entreprises françaises redéfinissent en urgence leur gestion des entrepôts internationaux. Automatisation, relocalisation, nouveaux partenaires : la logistique mondiale mute face à l’instabilité géopolitique.
Les bombardements israéliens du 13 juin dernier contre l’Iran ont fait flamber le baril de pétrole de 10% en quelques heures. Les prix du pétrole ont augmenté d’environ 10% vendredi 13 juin, en réaction directe aux bombardements israéliens sur l’Iran. Une onde de choc qui se propage jusqu’aux entrepôts français, où les responsables logistiques calculent fébrilement l’impact d’une éventuelle fermeture du détroit d’Ormuz sur leurs approvisionnements. Car si Téhéran mettait sa menace à exécution, environ 20% des livraisons pétrolières mondiales se retrouveraient gelées, paralysant du même coup les flux de marchandises qui irriguent la planète.
Cette crise révèle la vulnérabilité d’un système logistique mondialisé où chaque maillon compte. En France, la superficie totale des entrepôts atteint 89 millions de mètres carrés, servant de poumons à une économie de plus en plus dépendante des échanges internationaux. Mais comment les entreprises tricolores s’adaptent-elles à cette nouvelle donne géopolitique ?
Quand l’instabilité redessine les cartes
Les tensions géopolitiques représenteront à nouveau un facteur de perturbation majeur dans le secteur de la logistique en 2025, prévient une récente étude sectorielle. Le constat est sans appel : les entreprises ne peuvent plus compter sur la stabilité des routes commerciales traditionnelles. « Nous assistons à un changement de paradigme », témoigne ce responsable supply chain d’un grand groupe industriel français que nous avons interrogé. « Nos stratégies d’approvisionnement, pensées pour l’optimisation des coûts, doivent désormais intégrer le risque géopolitique comme variable principale. »
La menace iranienne sur le détroit d’Ormuz illustre parfaitement cette nouvelle réalité. Le détroit d’Ormuz voit passer 24% des exportations pétrolières mondiales, faisant de ce passage de 55 kilomètres de large un verrou stratégique pour l’économie mondiale. Entre la pointe montagneuse omanaise de Musandam et la côte iranienne, le détroit a une largeur d’une trentaine de milles marins. Une fermeture, même temporaire, déclencherait une cascade de perturbations sur l’ensemble des chaînes d’approvisionnement.
Pour le transport international routier, les conséquences se feraient sentir immédiatement. En ce début d’année 2025, certains transporteurs routiers appliquent déjà des taux de surcharge carburant dépassant 26%, selon les dernières données du secteur. Cette inflation des coûts pousse les entreprises à repenser leurs stratégies d’entreposage.
L’intelligence artificielle à la rescousse
Face à cette incertitude, la technologie devient un atout majeur. Les systèmes intelligents peuvent analyser les niveaux de stock en temps réel et recommander des actions pour optimiser l’inventaire. Dans les entrepôts de nouvelle génération, l’intelligence artificielle permet d’anticiper les ruptures d’approvisionnement et d’adapter automatiquement les stratégies de stockage.
« L’IA nous aide à naviguer dans cette complexité croissante », explique ce directeur logistique d’une multinationale du secteur agroalimentaire. Un Warehouse Management System (WMS) adapté aux opérations internationales est la pierre angulaire d’une gestion efficace des entrepôts transfrontaliers. Ces systèmes doivent désormais intégrer des données géopolitiques en temps réel pour ajuster les flux en fonction des tensions internationales.
L’automatisation s’accélère également. En 2025, l’adoption de l’automatisation des entrepôts devrait s’accélérer, portée par la nécessité de réduire la dépendance aux chaînes d’approvisionnement fragiles. Les robots équipés d’IA révolutionnent les opérations de picking et de stockage, permettant une flexibilité inédite dans la gestion des stocks.
L’explosion des coûts frappe les entreprises
L’impact financier de ces tensions se mesure déjà dans les comptes des entreprises. L’indicateur de production d’un véhicule calculé par le CNR diminue de - 0,4% entre 2023 et 2024, révèle le Comité national routier, organisme de référence du secteur. Plus inquiétant encore, le bilan de l’année 2023 pour le TRM, hors carburant, affiche une inflation moyenne annuelle de +6,3%.
Cette spirale inflationniste touche tous les postes de coûts. Les hausses concernent à la fois la composante sociale mais aussi les coûts kilométriques et les coûts fixes de véhicule. Les entreprises françaises se retrouvent prises en étau entre la hausse des coûts de transport et la nécessité de maintenir leurs marges.
« Le carburant représente déjà entre 25 et 30% de notre budget », témoigne ce dirigeant d’une PME de transport basée en région parisienne. En 2025, le carburant représente encore entre 25 et 30% du budget des transporteurs routiers. Une situation qui pousse les entreprises à diversifier leurs modes de transport et à repenser la localisation de leurs entrepôts.
La tentation du nearshoring
Cette instabilité accélère une tendance déjà amorcée : le nearshoring. L’approche nearshoring des chargeurs devrait de fait s’accentuer, pour limiter évidemment les coûts de la logistique et du transport. Les entreprises françaises relocalisent progressivement leurs stocks plus près de leurs marchés de consommation.
« Nous réduisons notre dépendance aux approvisionnements lointains », confirme ce responsable achats d’un distributeur spécialisé. La stratégie consiste à multiplier les entrepôts de proximité plutôt que de concentrer les stocks dans de grands hubs internationaux. L’association FRANCE SUPPLY CHAIN by Aslog impulse et accompagne les transformations des chaines de valeur des entreprises, aidant les entreprises françaises à repenser leurs modèles logistiques.
Cette mutation s’accompagne d’investissements massifs dans les technologies de gestion prédictive. Les technologies complémentaires de gestion des achats et des livraisons offrent une visibilité en temps réel, facilitant la gestion des niveaux de stock et des volumes commandés. L’objectif : anticiper les ruptures avant qu’elles ne se produisent.
L’immobilier logistique français se transforme également. Après une année 2024 morose, le marché des utilisateurs logistiques a atteint au 1er trimestre 798 000 m² placés, selon les derniers chiffres du marché. Les entreprises privilégient désormais des entrepôts plus petits mais mieux répartis sur le territoire, réduisant ainsi les risques liés aux perturbations géopolitiques.
Cette révolution silencieuse de la logistique française s’accélère sous la pression des événements internationaux. Entre innovation technologique et relocalisation stratégique, les entreprises hexagonales inventent les entrepôts de demain, plus résilients face aux soubresauts du monde.